Attachés culturels

La France a perdu de son prestige

En effet on ne parle plus de ces attachés culturels dont naguère le Reich avait lancé l'idée. Des attachés jouissant des privilèges et des immunités diplomatiques, chargés d'orchestrer la propagande dans chaque pays. L'Angleterre écarta d'un revers ce projet d'institution spécialement dangereux pour les nations démocratiques. Ce n'est pas que partout on l'ait abandonné et je sais un pays qui dans l'ombre de ses ministères prépare les jeunes hommes qu'un jour il chargera de cette mission. On a lancé les idéologies dans la vie internationale : il s'agit d'entretenir les confusions qu'elles y créent. Qu'on persuade aux opinions que tel ou tel pays est une puissance d'ordre. Il en recueillera le privilège d'envahir ses voisins, de tuer ou d'incendier sans que les cœurs des hommes droits s'émeuvent. Ainsi va-t-il de notre temps. Il n'est pas jusqu'aux réactions les plus saines qu'on ne prétende mobiliser. L'anti-communisme ? Quel admirable tremplin de propagande. On s'attachera ainsi un peu partout certaines classes de la société. On divisera les peuples contre eux-mêmes, empêchant l'unité de leurs réflexes devant les menaces extérieures. Ah ! sans doute le communisme est une menace internationale ! Ne sommes-nous pas les premiers à le craindre ? Mais ce n'est peut-être pas un moyen très efficace de le combattre que de s'abriter derrière cet épouvantail pour commettre des forfaitures. L'an dernier, le Général de Castelneau dans un vigoureux article de la France Catholique faisait justice de ces manœuvres.

Mais la propagande s'anime et à travers ses slogans tous les événements sont déformés. Ce n'est sans doute pas en France qu'elle exerce ses effets les plus virulents, mais bien plutôt contre la France. C'est un jeu pour elle que de nous représenter, à travers les contradictions de notre vie nationale, comme intérieurement décomposée. La France a perdu dans l'Europe d'après guerre un rôle que les français ont été les seuls à ne pas voir. Ils n'ont jamais eu tout à fait conscience d'avoir été les vainqueurs en 1918 et n'ont pas compris le rayonnement qu'ils en tiraient. Des polémistes les engageaient dans cette erreur. Mais si on ne peut parler d'hégémonie, on peut dire pourtant que la France avait la direction de l'Europe. Des fautes de politique extérieure, des désordres internes lui ont fait perdre ces bénéfices. Aujourd'hui certains États s'entendent à exploiter la situation. Sous quelles couleurs ne nous peint-on pas ! Ce ne fut sans doute pas la moindre utilité du voyage récent de M. Delbos que de dissiper un peu les équivoques amassées par la calomnie.

Cette insidieuse propagande nous crée immédiatement deux devoirs : le premier est de ne pas nous laisser séduire. On essaie beaucoup de diviser la France sous couleur de distinguer le pays réel du pays légal. Sans nier la sincérité de certains auteurs de cette distinction, il nous faut voir et ce qu'elle a de sophistique, et les dangers dont elle nous menace. Il ne s'agit pas moins que du destin de notre peuple. Le second devoir, c'est de nous élever contre les erreurs qu'on crée sur nous ou sur d'autres, et de veiller à ne jamais être complice. La tentation existe. On la présente si habilement... Surtout nous aimons beaucoup médire de nous-mêmes, en France, quitte à ne jamais reconnaître nos torts et nos défauts les plus réels quand d'autres que nous les exposent. Irrités de nos désordres, nous risquons d'en faire des tableaux que nos ennemis exploiteront tout en s'apitoyant avec des airs de chasse-mite. Je me rappelle, pendant la guerre, ces pancartes qu'on pouvait lire dans chaque wagon : « Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous écoutent ». Il ne serait pas mauvais qu'on en suspende parfois de semblables.

Nous n'avons pas de services de propagandes, et peut-être est-ce à notre honneur. Nous nous refusons à cette vaste orchestration de slogans à laquelle certains pays consacrent leur soin et leur or. Nous nous refusons à cette idée d'attachés culturels, et sans doute avec raison. N'est-ce point à chacun de nous d'être l'attaché culturel de son pays ? Nous, surtout, que notre éducation y prédispose. Tous les slogans de la terre ne valent pas l'exposé clair d'un honnête homme. Si nous le voulions notre situation serait sans doute meilleure. Il ne s'agit point ici de tomber dans le nationalisme. Dieu nous en garde ! Mais nous avons le devoir de présenter le visage de notre patrie, et le mieux possible, sans mensonge et sans parti-pris.

Nous ne servirons pas que la France. Toute la crise internationale vient de son effacement. L'ordre européen supposait une France non tellement forte que rayonnante. Son prestige subit une éclipse et de cette éclipse nous pouvons mesurer les effets.